Rémo Gary

Presse

Article de Michel Kemper paru dans nosenchanteurs

Rémo Gary chante des inédits de Jacques Debronckart

« Ecoutez… vous n’m’écoutez pas / Alors, ce n’est que ça la vie ? / Ce fatras ?… ce brouillamini ? / Je croyais qu’on répét’rait moi / Mais non, on joue directement / Personne ne connaît la pièce / On improvise les mots, les gestes / Alors c’est mauvais, forcément ».

En ce disque, le plaisir est complexe, imbriqué, mêlé. Celui de découvrir, quarante-cinq ans après sa disparition, des chansons de Debronckart qu’on ne savait pas. Un trésor de pirate. Pas des chutes, de ces textes écartés ou reniés par l’auteur, non. Des chansons achevées, qui plus est magnifiques, on n’ose dire parfaites mais.

Et celui de retrouver Rémo Gary. Après l’écoute de ce disque, on n’ose imaginer à quel autre artiste aurait pu échoir l’interprétation de tels titres. Debronckart ne ressemble qu’à lui-même, Gary ne ressemble qu’à lui-même : alors que dire à une telle écoute, si ce n’est que ces deux-là, ensemble, ne ressemblent qu’à leur rencontre longtemps différée : exceptionnelle et prolifique. Car il nous semble, mais c’est déjà faussé après l’écoute, que seul Gary pouvait se mettre en voix ces chansons de Debronckart, n’en faire qu’une bouchée, les avaler tout crus, les recracher, juré craché. Seul à pouvoir les porter sans tricher ? A bien les écouter tous deux, Gary et Debronckart, Debronckart et Gary, les thématiques et indignations sont les mêmes, l’amour et l’humanité aussi. « Chantez, chantez, voix éraillées / Voix de cailloux, voix de cristal / Racontez ma peine et mon mal / Mon espérance assassinée / Que la chanson ne soit pas gaie / Je ne suis pas un rigolo / Sauf quand l’âpre vin de Bordeaux / M’a fait la cervelle embrumée ». Les deux sont familiers l’un l’autre, au sens où ils sont d’une même famille faite de talent de d’exigence, famille où l’on côtoie des Montéhus et Caussimon, des Leprest et Sylvestre. Les chiens ne font pas des chats : un Debronckart ne peut engendre qu’un Gary, dans une même veine où globulent le blanc et le rouge. Pas le rosé.

« Demandez-moi des chansons / Comme on demande à l’été / Du blé qui fait les moissons / Demandez-moi de chanter / Demandez-moi des colères / Comme on réclame aux nuages / De nous remplir les rivières / Demandez-moi de l’orage » chante Gary, dans le seul titre qui est le sien dans ce disque. Une chanson que, facilement, on s’image Debronckart chanter. Comme un cadeau fait à son ami, son ainé, non un maître en chanson (ni Dieu ni maître ici), mais un compagnon qui depuis longtemps, Gary chante « avec un ou deux autres camarades de jeu »*. « Quand Clémentine Jouffroy m’a proposé de plonger dans ses chansons inédites (de Debronckart – NDLR), j’ai écouté, et écouté encore. Et je me suis laissé faire, laissé imprégner, puis emporter. Par sa voix, par son ardeur, par cette forme d’écriture que je n’ai jamais vraiment osée dans mes chansons, débarrassée des artifices convenus. On est ce que les autres font de nous, dit-on. Eh bien, disons que je me suis laissé faire, depuis des années, par ce Jacques-là, doucement, secrètement. »

Comme on le dirait d’un Debronckart, comme on peut le dire d’un Gary, cet album est indispensable à qui aime, passionnément, la chanson. Le fait que ce soit la talentueuse Nathalie Fortin, seule au piano, qui en porte les portées, devrait définitivement vous en convaincre.

* On pense forcément à Christian Camerlynck et son Camerlynck chante Debronckart, avec Jean-Paul Roseau au piano, CD paru en 2001 au Loup du faubourg. Et à Marie-Thérèse Orain et son Intacte, CD paru en 2015, où elle chante Jacques Debronckart, Léo Ferré et Christine Fontane.

 Rémo Gary, Voix de cailloux, Poisson à tiroir/Camino verde/distribution EPM 2018.   Michel Kemper