Rémo Gary en double compagnie
N’attendez pas d’un disque de Gary qu’il soit réédité : quitte à en presser un, autant le créer plutôt que d’en ressortir un épuisé, même s’il n’était pas fatigué. Quand le monde aura du talent, chanson-titre de son album d’il y a quinze ans, échappe à ce sort et fait à nouveau partie du lot, de ce lot-là. À la demande générale, sans doute. Ainsi que L’éléphance, tirée de l’album La rue du monde, paru en 1998, au siècle passé. Deux titres parmi les vingt-et-un de ce double album où, à côté de chansons de Rémo Gary, on trouve de l’Eugène Bizeau, du Jacques Debronckart (quatre chansons, tout de même, des inédites qui plus est, en avant-poste, avant-garde d’un CD tout entier consacré à Debronckart que Rémo devrait bientôt enregistrer, plaisir qui déjà s’annonce), du Raoul Ponchon (à qui Gary avait consacré il y a cinq ans tout un livre-disque : Ponchon et Cie), de l’Henri Barbusse et de l’Edmond Haraucourt. Car c’est encore un « et Compagnie » que ce double album-là. Compagnie de gens de mots et de lettres, compagnie de gens de notes aussi : Hervé Suhubiette, Romain Didier, Jacques Debronckart, François Forestier, Clément Grand, Laurent Rualten, Joël Clément, Michel Salanville et Jeanne Garraud, sa fille, avec qui Rémo chante aussi en duo. Compagnons de route, amitiés et idées fidèles, ces disques sont, en leur entier, à l’image du chanteur de Bourg-en-Bresse : exigeants et partageux, généreux et questionneux, toujours en recherche : « A nos moments trouvés / Il n’y a plus de colère / Ni honte, ni mystère / Ni de cœurs entravés / Plus rien qui nous chagrine / Ni malheurs qui crachinent / Dans nos yeux délavés / A nos moments trouvés ».Gary alterne le chaud et l’effroi, comme à son habitude. La douceur des corps à l’ouvrage (« Pour te causer d’amour un discours inédit / Je t’aime à tous les coups, ramène sa routine / Moi je t’amourerai, si le corps t’en dit ») comme les horreurs que seul l’Homme sait faire (« On voit gicler de la groseille / Du raisin, du jus de soldat / A chaque morsure d’abeille / A chaque pruneau, chaque éclat »). La chanson de Rémo Gary n’est pas celle du tout venant, du mal venu : on ne s’y distrait que rarement, sauf à s’abandonner dans les plis d’un lit ou d’un corsage, pas si sage. Un piano (Jeanne Garraud, Nathalie Fortin, Clélia Bressat-Blum, Joël Clément), parfois un violoncelle, une guitare, une contrebasse ou un violoncelle, et ça fait Du bruit qui pense, panse parfois. « Ça fait les oreilles ravies / C’est d’évidence… » Des mots qui vivent leur vie, leur bon plaisir comme leur tragédie. A Gaza, à Tombouctou, au Bataclan « à quoi ça ressemble le monde / c’est un territoire occupé ». Gary, c’est la vie que sa chanson colporte, consigne, décrit, des cris… parfois souvent dénonce. Comme dans Fonds de miroir : « J’ai vu des mers rouge, j’ai vu des mers mortes / Ou le capital vide ses aortes / Des corps étrangers d’années en années / Dans les eaux de la Méditerranée ».
La chanson peut être fière de Rémo Gary. Il n’est certes pas le seul à donner à cet art une telle consistance : il le fait avec constance, modestie et grand talent. Pour un public acquis et c’est là où le bât blesse : lui et quelques autres méritent une bien plus grande audience, mais les trompettes de la renommée ont depuis longtemps fui toute forme de poésie. Michel Kemper
Rémo Gary & Cie, A nos moments trouvés + Fonds de miroir, autoproduit 2017