Rémo Gary

Paroles

Consultez ici l'intégralité des textes des chansons...

Colère (Rémo Gary)

Je fais le premier pas qui doute
Je lance un premier mot qui coûte
Un mot avalé de travers, colère
Ma tête me fait mal aux pieds
J’en ai beaucoup, j’en ai assez
Je lance un pavé dans la mer ! Colère

Soupe à la grimace, soupe au lait
Je suis pas beau, les gens sont laids
Soupe à la grimace, soupe au lait
Les gens sont aigrelets

Les jours de malheur, de mélasse
Levé de la mauvaise godasse
J’en veux à la terre toute entière, colère
Et je me bats contre mon ombre
Demain il fera jour, ou sombre
Matin brun, siècle de lumière ! Colère

Soupe à la grimace....

J’ai rien dans la bouche ce soir
J’ai plus de mots dans les mâchoires
Et mon désir, c'est de la pierre, colère
Pendant qu’on fauche les fauchés
Qu’on coupe la vie sous leurs pieds
Je devrais encore avoir l’air ! Colère

Soupe à la grimace....

A quoi je joue, quel cinéma
Quel rôle à t-on prévu pour moi
A quoi ça rime, à qui ça sert, colère
S’il vous plait, ne m’en voulez pas
Y’a des fois où rien ne va pas
Où le monde est tout à défaire ! Colère

Soupe à la grimace...

Chanter ça fait en général
Du bien là où ça faisait mal
Mais ça fait aussi le contraire, colère
L’univers est un capricorne
Je veux l’attraper par les cornes
Je veux le remettre sur ses deux pieds

Et même si la soupe est à l’eau
Le monde et nous on sera beaux
Et même si la soupe est à l’eau
On sera beaux

Le petit matin (Rémo Gary / François Forestier)

A l’heure où juste avant l’aurore
L’araignée de nuit tisse encore
La toile noire de son drapeau
Voilà que passe l’inventaire
De la galerie de la terre
La rue s’est réveillée très tôt

On a espéré le grand soir
Bonsoir
À nous
D’inventer le petit matin
Mutin
Pas chagrin du tout

Notre révolution boutonne
Et ceux qui viennent de Lisbonne
Ont des œillets aux boutonnières
Y’a les primevères de Prague
Notre terrain d’entente est vague
Des poings serrent des roses trémières

On a espéré le grand soir…

Y’a pas de soldat, pas de troupe
Y’a des têtes de roi qu’on coupe
Sans aucune méchanceté
Y’a plein d’intifadas faciles
Des cailloux contre des fossiles
Des lois par-dessus le marché

On a espéré le grand soir…

Les souvenirs de vieux stratèges
Viennent hanter notre cortège
Y’a Proudhon, Jaurès, et Babeuf
Et c’est avec ces références
Que l’on fera de préférence
Mille sept cent quatre-vingt tout neuf

Nous sommes humains de toutes sortes
On casse des murs et des portes
Y’a pas de mot d’ordre, les cris
Les slogans, c’est des pièces uniques
Mais ça n’empêche qu’on revendique
Tout ce que l’autre aura aussi

On a espéré le grand soir…

Sous les pavés, c’est formidable
Il y a de nouveau du sable
Dont on ne fait pas les châteaux
Comme tout se démocratise
On chante le temps des merises
Qui suffiraient sur nos gâteaux

On a espéré le grand soir…

Dans la rue, ça y est c’est grand jour
Bonjour...

Les bosses (Rémo Gary / Jeanne Garraud)

En premier sortir d’un antre
D’une caverne, d’un ventre
Percer le premier bouton
Vider le premier abcès
Ouvrir le premier accès
Et te voilà rejeton

Fendre la première cosse
Sur le chemin des bosses
Des bosses sur le chemin
Tiens-lui la main

Et vient l’âge de la pierre
La peau s’arrache à la terre
Et vient l’âge des cailloux
Des rougissants hématomes
Voilà c’est le second tome
Que t'écris sur tes genoux

C’est l’âge de la cabosse
Sur le chemin…

Le temps te métamorphose
Fait gonfler tes ecchymoses
Sans être tombé, sans rien
Là c’est des ballons qui poussent
Des rondeurs, des pamplemousses
L’arnica n’y pourra rien

Douze ans, la fée Carabosse
Sur le chemin…

Comme au tableau de l’enfance
Sans doute que l’existence
Te réserve quelques coups
C’est des bosses indicibles
Poussant dedans invisibles
Écrites sens dessus dessous

S’effaçant d’un coup de brosse
Sur le chemin…

Enfin, c’est pas un mystère
Tu finiras dans la terre
Sous l’épiderme d’un champ
Petit bouton, ridicule
Petit pâté, monticule
Ça presse pas, y’a le temps

De prendre le coup de crosse
Sur le chemin…

Bonne chance, bonne route
Tes blessures font des croûtes
Et peut-être qu’à ton tour
Tu prendras la cloque quand
Te viendra le dos devant
D’une piqûre d’amour

D’une piqûre de gosse
Sur le chemin des bosses
Des bosses sur le chemin
Tiens-lui la main

Le contorsionniste (Rémo Gary / Clélia Bressat-Blum)

À force de tant vouloir
Regarder son dos
L’homme caoutchouc ce soir
A un lumbago
Il a les muscles en panache
La colonne vertébrale
Lui fait des nœuds de vache
Dans la verticale

Bras dessous et bras dessus
Il a trop tiré
Comme pour faire du tissu
Il est tout tissé
Faudrait qu’on le dénoue
Car il ne comprend plus bien
S’il a en bas de genoux
Le pied ou la main

Des nœuds, il en a fait d’autres
Des nœuds de marin
Des nœuds pour lier l’épeautre
Pour lier le foin
Et des boucles à ses godasses
Avec le serpent, le puits
C’est pas sûr du tout qu’il fasse
Les mêmes aujourd’hui

Il voudrait qu’on décroche
Le grand nœud coulant
Qui autour de sa caboche
Serre en l’étranglant
Et le gros paquet d’embrouilles
Ce peloton de soucis
Qui brasse, qui barbouille
Le ventre et l’esprit

Voilà qu’un spécialiste
Avec ses remèdes
À notre contorsionniste
Propose de l’aide
Comme au théâtre en trois coups
Trois coups de cuiller à pot
Il débrouille, il dénoue
Plus de lumbago

Plus de nœud dans la cervelle
Plus dans la mémoire
Plus d’anguille, de civelle
Dans les cauchemars
Que c’est bon d’être un artiste
Et d’avoir enfin, mon vieux
L’estomac en corde lisse
Pour souffler un peu

(cette chanson est extraite d'un ensemble de 6, pour le jeune public : l'Opéra Gruss)

Les pieds de singe (Rémo Gary / Romain Didier)

Ça ressemble à des pieds de singe
Dans le cerveau, dans les méninges
C’est ce qui prend le plus d’espace, de place
Bien cachées dans les poches au chaud
C’est tout ce qui manque aux manchots
C’est tout ce qui manque aux pingouins, les mains

Sur le bout des doigts y’a la vie
Qu’on connaît par cœur comme on dit
Et le cœur, on l’a sur la main, à moins
Qu’on fasse partie de ces gones
Qui ont mal à la main qui donne
L’amour, ils l’appellent reviens, radins

Dors encore mon petit quinquin
Au jeu de paume des gamins
L’auriculaire finira, le plat
Si le premier va à la chasse
L’annulaire parfois s’enchâsse
D’un signe extérieur de tendresse, d’ivresse

C’est l’index au bout de la main
Qui sert à montrer le chemin
Et qu’on lèche à chaque tournage, de page
Allez lire Victor Hugo
Dans la Pléiade tout de go
Sans vous humidifier cent fois, ce doigt

Le majeur est étonnamment
Peut-être le moins étonnant
Dépasser les autres ça lui, suffit
Et souvent quand il entre en scène
C’est pour vous faire un signe obscène
En se prenant pour l’obélisque, sans risque

Le pouce tient lieu de tétine
Pour des jouissances enfantines
Permet de traverser l’Europe, en stop
En opposition mais bon prince
Il nous sert à serrer les pinces
C’est au bout de nos abattis, l’outil

A l’école on lève nos doigts
Si l’on a suivi on dit "Moi
Je sais compter jusqu’à deux cents", mais quand
On n’a rien compris aux problèmes
On se fait taper sur les mêmes
Par la règle réglementaire, en fer

J’ai nommé les doigts un par un
Mais quand ils s’unissent comme un
Comme un seul homme collés dans, un gant
Quand ils fusionnent dans une moufle
Tout l’orgueil humain s’y camoufle
La main retrouve du primate, la patte

D'ailleurs on mange à la fourchette
Alors que la main est parfaite
On appelle ça le trident, d’Adam
Et pour boire pas que de la flotte
On f'rait comment sans les menottes
Pour lever son verre, pour trinquer, santé

Pour les sans voix, comme c’est beau
Quand le corps remplace les mots
On dirait de grands sémaphores, c’est fort
Le parler des muets se lit
Sur les mains mieux qu’en Italie
C’est du Braille, mais c’est à l’oral, génial

Du plus sensible au plus banal
On se serre la main c’est normal
Bonjour, et l’on gagne d’un coup, cinq sous
On gagne à pouvoir se parler
Je ne suis pas venu armé
Voilà ce que ce geste dit, aussi

Même quand je me tiens la panse
Peut-être bien que mes doigts pensent
Ou mieux qu'ils n’oublient rien du tout, de nous
Les entailles aux bouts des phalanges
Par les serpettes des vendanges
Les ongles rongés par les dents, au sang

À la première estafilade
Je leur passe de la pommade
Et quand ils sont trop sales un bon savon
Et là où je me suis coupé
Mes doigts se transforment en poupée
D'un petit bout de sparadrap, de drap

De la poupée à la marotte
Il n’y a qu’une petite trotte
Qu’un petit pas de marionnette, pas bête
À manche, à tige, à gaine, à vue
Les mains donnent dans l’imprévu
Théâtre d'ombres, personnages, mirages

On prédit dans le creux des pognes
Ce qu’il adviendra pour nos trognes
Lignes de vie, lignes d’errance, de chance
Pour l’avenir ou l’eczéma
Consultez donc Madame Irma
Ses mains pour lever les nécroses, s’imposent

Quand le succès fait des épates
Content on se frotte les pattes
On applaudit, bravo l’artisse, on bisse
S’il ne vient plus, s’il ne vient pas
Touchons du bois, croisons les doigts
Allez, je reprendrai la main, demain

Ah, ce que les mains peuvent dire
Pour le meilleur et pour le pire
Quand elles jouent leur chanson leste, de geste
Pouce en bas la mort, l’horreur
Le bras tendu pour le Führer
Ou pour dire toute la vérité, juré

La main qui tue, la main qui joue
La claque, la fesse, la joue
La main de tous les paradoxes, la boxe
La main qu’on coince dans le sac
La main au collet, au colback
C’est pour reprendre au cleptomane, sa manne

La main de Dieu, la main de fer
La main lourde, la main légère
Et celle où pousse c’est fatal, un poil
Et la main chaude et la main verte
Celle du mort restée ouverte
Que l’on replie tout doucement, pleurant

Pour le bonheur des yeux, pour lire
Les mains pianotent nos désirs
Sur le clavier des Remington, des tonnes
Des tonnes de mots et de rimes
Et combien de plumes, de crimes
D’oies sacrifiées pour le plaisir, d’écrire

Les doigts en signe de victoire
Les doigts en signe de pétoire
Je tire un coup de revolver, de chair
Avant les élections, c'est louche
Si l’on vous serre dix fois la louche
Ça s’appelle avoir la main, putain

J’allais oublier ceux qui jonglent
Et le onzième doigt sans ongle
Qui n’empêche pas d’attraper, l’onglée
Mais aussi celle qui démange
Celle, quand on a faim, qu’on mange
Garde bien l’autre pour demain, gamin

Et il ne serait pas très juste
De négliger le geste auguste
Du semeur semant son carré, de blé
Pour que le grain devienne pousse
Il faudra se salir les pouces
En attendant pour les mains blanches, dimanche

Ma chanson sera déficiente
Si je manque la main courante
Si le kinésithérapeute, je queute
Si je loupe la pipistrelle
Dont les mains se finissent en ailes
Et si le crochet du pirate, je rate

Encore un peu et j’allais taire
Les petits plaisirs solitaires
La veuve poignet, c’est son nom, cré nom
J’allais passer, quelle ignorance
La main de ma sœur, sous silence
Dans la culotte, sans entrave, du Zouave

J’ai parlé d’outil bien avant
Quel don faut-il à l’artisan
Pour apprivoiser le volume, l’enclume
Pour user sa peau sur la pierre
Sur le rabot, dans la poussière
Et pour s’y mutiler les doigts, parfois

Dépourvu d’un des cinq ergot
Quelle envie faut-il à Django
Pour gratter comme un acrobate, sa gratte
Quelle force faut-il à Jarra
Alors qu’on lui casse les doigts
Pour dénoncer la bête immonde, du monde

Tous les métiers, tous les boulots
S’ils ont besoin du ciboulot
Exigent pour faire leur besogne, des pognes
Ni les chirurgiens, les maçons
Non plus les faiseurs de chansons
Ne se passeraient des grappins, des mains

Je chante tout ce que je touche
La terre, le velours et ta bouche
Ce que je devine sans voir, le soir
Ce que je tâte et que je presse
Les massages et les caresses
Quand nos mains se font concubines, frangines

Si tous les deux on se débauche
C’est qu’on s’aimait de la main gauche
Qu’on s’est mis le doigt jusqu’au seuil, dans l’œil
Mais si on se réconcilie
On est au fond du même lit
Comme les deux doigts d’une main, copains

Quand je compte mes camarluches
Cinq doigts suffisent à la paluche
C’est du calcul sentimental, mental
Mais s’il s’agit des camarades
Pour pas laisser le monde en rade
Faudrait pouvoir en compter des, milliers

Quand on la serre en haut du bras
Quand le poing occulte les doigts
Et qu’il met des points sur les I, pardi
C’est le sceptre des prolétaires
La crosse des athées de la terre
Qui veulent inventer de leurs mains, demain

La terre à bien mauvaise mine
C’est bien peu d’avoir deux mimines
Pour la réparer à la main, à moins
D’être multimane ça aide
Pourquoi pas aussi polypède
Ou quantidextre ou ambipatte, mille-pattes

Ça ressemble à des pieds de singe
Dans le cerveau, dans les méninges
C’est ce qui prend le plus d’espace, de place
Bien cachées dans les poches au chaud
C’est tout ce qui manque aux manchots
C’est tout ce qui manque aux pingouins, les mains

La chanson du ricochet (Rémo Gary / Joël Clément)

Voici qu’une guerre est passée
Et voici qu’une autre s’en vient
Les moutons sont très bien gardés
Et les chiens font toujours des chiens
On se répète et on trébuche
Ça cloche là où ça clochait
Les promesses sont des embûches
C’est la chanson du ricochet…

On raccommode la misère
On recoud nos déchirements
On jure que c’est la dernière
Et le temps coule éperdument
C’est la toile de Pénélope
C’est du tapis, c’est du crochet
C’est la mort sans fin qu’on écope
C’est la chanson du ricochet…

Tu sais on a autant de chance
D’être la meule, d’être le grain
Entre les deux nos corps balancent
Un homme averti ne vaut rien
On sait que la paix c’est Gandhi
On vote pour des Pinochet
Petit galet qui rebondit
C’est la chanson du ricochet…

Toujours remonté par Sisyphe
Le rocher retombe toujours
À chaque saison, c’est du kif
On a tous un devoir d’amour
On apprend le passé, l’histoire
Des leçons pourtant rabâchées
On a de ces des trous de mémoire
C’est la chanson du ricochet…

Oui ! C’est vieux comme les chemins
Regarde nous, regarde-moi
Je ferai gaffe à tout demain
Je ferai attention à toi
Comme quand on jure de ne plus boire
Et que l’on repique au pichet
Serments d’ivrogne, de pochard
C’est la chanson du ricochet…

Où est le fil ? (Rémo Gary)

Tisseur de rien
Fileur de temps
Lieur de liens
Tisseur de gens
Il s’en est tourné des bobines
Sur les grands planchers des usines
Il s’en est vidé des histoires
Juste à côté des dévidoirs

Sur le pain gagné pas de beurre
Et pour le couper pas de fil
Sur le temps passé pas de pleur
Où est le fil ?

Tisseur de soie
Au fond d'tes poches
T’as rien à toi
Fileur de cloche
Tisseur de soi, tisseur des autres
Quelle parenté est la nôtre
L’atelier ne fait plus la maille
Le bistanclaque est à Chang-hai

Le travail a fait ses valises
Reste des perles qu’on enfile
Tous les jours on délocalise
Où est le fil ?

Tisseur de temps
Fileur de liens
Lieur de gens
Tisseur de rien
À moitié fous, à moitié triche
Les artistes vont dans les friches
Sur les souffrances du moment
Ils appliquent leurs pansements

Soigner la misère, peut-on
Avec du coton hydrophile
Est-ce encore du mauvais coton ?
Où est le fil ?

Tisseur de rien
Tisseur de feintes
Marchand de bien
Et de complaintes
Où est la suite, où est la chaîne
Où est le travail à la peine
Ici, mais surtout maintenant
À l’autre bout des continents

Faut se répéter, se promettre
Aujourd’hui que tout se défile
Ni roi, ni dieu, ni contremaître
Où est le fil ?

Tisseur de terre
Tisseur de trop
Coupeur de chair
Laveur de mots
On se frotte à d’autres histoires
La où c’était des abattoirs
On tourne bien d’autres séries
Sur les grands planchers des soieries

Là où c’était des entrepôts
On ne tanne plus, ni on tréfile
On y gagne autrement sa peau
Où est le fil ?

Graines de chènevis (Rémo Gary / Michel Sanlaville)

Celle-ci est couleur d’acajou
Minuscule dans le creux de ta joue
On la voit à peine à l’oeil nu
J’en connais d’autres quand tu es nue
Voilà deux raisins de Corinthe
Deux envies sur tes seins sur tes pointes
Celle-là ressemble à une mouche
Artificielle au coin d’ta bouche

C’est ce qu’on appelle des envies
Graines de péchés, de chènevis
Des p’tites taches sur ta peau
L’artisan a laissé des copeaux

Quand je trouve sur ce parchemin
Des taches d’encre écrites à la main
Sergent Major, ou plume d’oie
Je vais m’en mettre plein les doigts
Quand je goûte ces grains de gabelle
Alors je prends la route du sel
Va dans ton désert, va au diable
Dieu, je prends la route du sable

C’est ce qu’on appelle des envies…

La lumière t’a transmis par les trous
D’un chinois, d’un tamis des grains roux
Couleur de tatamis, réglisse
T’as la peau chinée, peau maïs
C’est de la boulange, je saisis
L’amour que je mange dans ton lit
Je joue des phalanges, je pétris
Je fais mon pain, c’est du pain de riz

C’est ce qu’on appelle des envies…

J’ai goûté, quand le trouble vint
J’ai su que c’était tache de vin
Taches de rousseur, taches sanguines
Taches de rouquin ou de rouquine
Taches de son ou taches de fièvre
De sang, de lait, ou de rouge à lèvres
Sans ta peau, je n’aurais plus d’envie
Sans désir que serait notre vie

Sans ta peau je n’aurais plus d’envie
Sans désir que serait notre vie

Les trois matelots de Groix (Jean Richepin / Yves Chauris / Rémo Gary)

Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions trois matelots de Groix
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlaire

L’avez-vous oublié, moi je l’ai retenu,
Ce vieil air de marin, chef-d'œuvre d’inconnu,
Où du peuple et des flots, l’âme obscure s’exprime.
Quelques couplets naïfs de sens, veules de rimes,
Sur cinq notes, pas plus, cinq, mi, ré, do, si, la,
Avec tradéri tra, lanlaire et trou lon la,
C’est tout ! Mais là-dedans, la mer entière y passe,
Le cri des naufragés, l’haleine de l’espace,
L’avez-vous oublié, moi je l’ai retenu,
Ce vieil air de marin, chef-d'oeuvre d’inconnu,
Les gaietés de ce dur métier et ses effrois.
C’est la complainte des trois matelots de Groix.

Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions trois matelots de Groix
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlaire

Pour la goûter dans sa grandeur mélancolique,
Il faut l’entendre au soir, quand le soleil oblique
Avant de s’en aller, lui dresse son décor,
Lorsqu’en derniers flocons, sa pourpre saigne encore,
Tandis qu’à l’autre bout du ciel la nuit reflète
Ses cheveux dénoués dans la mer violette.
Oh comme le vieil air alors vous entre à fond,
Chanté là-bas par un qui dans l’ombre se fond,
Par un pauvre pêcheur qui tourné vers la terre,
S’enfonce au large sur sa barque solitaire !
Oh comme le vieil air alors vous entre à fond,
Chanté là-bas par un qui dans l’ombre se fond,
Oh ! le puissant, le fier poème et pénétrant !
Quelle évocation il fait, quel charme il prend
À rouler sur les flots où ce rameur le pousse
Avec sa rauque voix que le lointain rend douce !
Mais comment le noter ce poème, comment
En traduire la vie et l’âme, ou le moment,
L’onde immense, le ciel profond, l’ombre infinie,
Mystérieusement mêlant leur harmonie ?
Comme dans un herbier les goémons défunts
Se dessèchent, flétris et perdent leurs parfums,
Cette musique et ces paroles entendues
Sur la mer qui frissonne et dans les étendues,
Ne vont-elles pas mourir et se flétrir aussi
Sur ce froid papier blanc, par ma plume noirci ?
Bah ! Les mots, vieux sorciers ont des métempsycoses,
Et leurs Philtres savants font revivre les choses.
Essayons !

Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions trois matelots de Groix
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlaire

Essayons, attendri, pourtant non sans gaieté;
L’air s’élance d’abord vers un vers répété;
Et là, sur un quasi trille qui pirouette;
Plane en battant de l’aile ainsi qu’une alouette.

Nous étions deux, nous étions trois

Ma foi oui, deux ou trois, ou bien quatre, peut-être.
Le compte est au départ, fait par le quartier-maître :
Mais le compte au retour, ah qui donc le connaît ?
Est-ce qu’on sait jamais sur mer combien l’on est ?
On était trois, on n'est plus que deux, cherchez l’autre !
Aujourd’hui c’est son tour et demain c’est le vôtre.
En a-t-on vu partir, dans le grand bénitier !
Mais qu’importe ! Hardi, les gars ! C’est le métier.
Houp ! Quand même, gaiement, en marins que nous sommes !
Si l’on pensait à ça, la mer serait sans hommes.
Houp ! Quand même gaiement en marins que nous sommes !
Si l’on pensait à ça, la mer serait sans hommes.
Et le premier couplet va joyeux, s’achevant
Sur un coup de gosier qui gueule au nez du vent
Et dont le dernier cri s’envole en rires vagues
Comme un défi moqueur, à la barbe des vagues.
Et pourquoi serait-on triste, donc, les gars ?
On a fait bonne pêche, on rentre sans dégâts.
La femme et les petits auront pitance large.
On arrive. On débarque. On va vendre la charge.
Et puis, on mangera la soupe de poissons
Avec un bon pichet de cidre et de chansons.
Parbleu, le vent n’est pas toujours si mauvais drille.
La mer n’est pas toujours rêche comme une étrille.
Vois, elle est douce, un peu frisante, mais pas plus.
C’est la brise qu’il faut pour traîner les chaluts.
Le bateau va comme en rivière une gabare,
Sans personne au compas, et le mousse à la barre
Il faudrait n’être qu’un failli chien de terrien
Pour geindre en ce moment et se plaindre de rien.
Va, du gars, et les pieds pendus sur la poulaine,
Pare à reprendre en chœur le refrain à voix pleine !

Nous étions deux, nous étions trois
Nous allions de Belle-Isle à Groix

Bien sûr ! Pourquoi donc triste ? Ah le sort des marins,
Un sort à faire envie, une vie à trois brins !
Bitte et bosse qu’on dit en langue matelote !
Mousse à douze ans. Ensuite un congé sur la flotte.
Puis jusqu’à cinquante ans, inscrit. Après largué !
Quand près d’un demi-siècle on a bien navigué,
On touche en s’échouant, épave sur la grève,
Cent soixante-dix francs de pension, quel rêve !
Mais sur nos pieds pendus vient poudrainer l’embrun.
Attrape à prendre un ris, mon garçon. Encore un !
V’là la mer qui se fâche et la lame qui brise.
À c’t’heure, c’est le vent du nord qui souffle en brise,
Mauvais bougre de vent qui vous jette aux récifs,
Et gifle à contre-poil les paquets d’eau poussifs.
Range à virer ! Le vieux nous chatouille le ventre,
Et les filins tendus ronflent creux comme un chantre.

Le vent du nord vint à souffler

Range à virer ! Le vieux nous chatouille le ventre,
Et les filins tendus ronflent creux comme un chantre.
C’est vrai, qu’il souffle, tout de même, et pas pour rire
L’eau clapote en bouillons comme une poêle à frire.
Bon ! Qu’il gimbe tant qu’il voudra dans les agrès !
Nous en avons troussé bien d’autres au plus près.
Ce n’est pas encore lui qui verra notre quille.
Souffle, souffle mon vieux, souffle à goule écarquille !
Souffle à t’époumoner ! Nous n’y serons pas pris.
Car la barre tient bon, la toile a ses deux ris,
Mais l’homme est plus malin que la mer n’est méchante.
Nous sons parés, mes gars. Holà, du mousse, chante !

Nous allions de Belle-Isle à Groix
Nous allions de Belle-Isle à Groix
Le vent du nord vint à souffler
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlaire

Et la voix du pêcheur qui va toujours ramant,
Là-bas, à l’horizon, n’a pas un tremblement
En lançant ce couplet où déjà monte et roule
La râle rauque et sourd dont se gonfle la houle.
Car il souffle dans la chanson, plus fort, plus dru,
Le maudit vent du nord, le sacré vieux bourru :
Et les flots flagellés, qu’il rebrousse au passage,
Se cabrent contre lui, lui crachent au visage,
S’enflent, bondissent, fous et viennent dans leurs sauts
Jusqu’au milieu du pont dégorger leurs naseaux
En secouant, épars, leurs crins aux mèches vertes.
Le bateau coupe eu deux leurs poitrines ouvertes,
Ou les chevauche, grimpe aux croupes des plus hauts,
Puis dans des entonnoirs retombe, et les cahots
Le déhanchent comme un qui chute d’une échasse.
Maintenant c’est compris le grain nous fait la chasse.
Il faut, sans qu’il nous prenne en biais, filer devant,
Sur un tout petit bout de toile dans le vent.
Le ciel se grée en nuit, d’une nuit sans chandelle :
Et sur ce grand mur noir passent à tire d’aile
Des nuages blafards, déchiquetés aux flancs,
Où le bec des éclairs ouvre des accrocs blancs.
L’averse tombe en fouet en lanières étroites.
La mer est comme un champ de lames toutes droites.
Cargue ! Amène ! Encore ! Tout ! Plus de toile au bateau
Les ris à l’Irlandaise, aïe ! à coups de couteau !
En lambeaux arrachés, le dernier foc s’envole !
La baume en deux, la mât craque, la barre est folle.
Il souffle, souffle, souffle. En vain l’on s’évertue.
Pas moyen de virer à la brise têtue.
Et l’on entend d’ici le bruit tonitruant
Des taureaux de la mer aux récifs se ruant.
C’est la côte, la terre infâme, et l’on se broie
Aux mâchoires des rocs qui lacèrent leur proie.
Non, non ! Plutôt que d’être ainsi mis en morceaux,
Luttons, colletons-nous encore avec les eaux !
Il souffle, souffle, souffle. En vain l’on s’évertue.
Pas moyen de virer à la brise têtue.
La chaloupe est servie et la vague est gourmande.
Mais l’aviron au poing c’est l’homme qui commande.

Le vent du nord vint à souffler
Le vent du nord vint à souffler
Faut mettre la chaloupe à l’eau
Mon tradéri tra trou lon la
Mon tradéri tra lanlaire

Ah ! Comme elle parait lamentable d’ici,
La chanson qui là bas s’égaille sans souci !
Qui sait si ce pêcheur perdu dans l’ombre grise,
Ne va pas rencontrer aussi, lui, cette brise,
Ce vent du nord qui jette aux rochers le bateau ?
Un coup par le travers et sa barque fait eau.
Il est seul, il est loin, il n’a rien que sa rame.
Pourtant, il va toujours. Il chante. Et tout le drame
Qu’il évoque en deux mots sans un pleur dans la voix,
Tout ce drame surgit, je l’entends, je le vois.
Ils sont dans la chaloupe, à la rame, à l’aveugle,
Contre l’eau qui rugit contre le vent qui beugle.
Ils ont dégringolé dedans comme ils ont pu,
Juste à temps, au moment où le mât s’est rompu,
Où la coque a roulé vers la côte prochaine.
Plus de pont ! Plus de chambre au bon coffre de chêne !
Plus de voile plus rien que leurs pauvres poings clos
Pour taper sur le mufle à la meute des flots.
Et les monstres sur eux croulent en avalanches,
Dardent leurs ongles verts, font grincer leurs dents blanches,
Leur saute par dessus quand la barque descend,
Et tâchent de les prendre à la gorge en passant.
Et l’on a beau tenir son banc d’une main forte,
Ils sont tant qu’une gueule à la fin les emporte.

Quand la chaloupe fut à l’eau
Mon matelot tomba dans l’eau

Ah! maintenant, c’est comme un vol d’oiseaux meurtris
Que la chanson là-bas se traîne avec des cris,
Tandis que le pêcheur disparaît dans la brume.
Un vol d’oiseaux lassé, lourds qui perdent leur plume !
Roulant et s’écorchant à la pointe des flots,
Le trille du refrain se déchire en sanglots.
Un vol d’oiseaux blessés qui ne vont que d’un aile !
O tristesse de la lointaine ritournelle !
Cette fois en chantant le pêcheur a gémi.
C’était son matelot, celui-là, son ami.
Mon matelot tomba dans l’eau, la voix sanglote...
Il a fait avec moi son congé sur la flotte.
Partis ensemble da, ! Lâchés ensemble aussi.
Il était comme moi de la classe et d’ici :
Et du même filet on aurait dit deux mailles.
Puis comme toujours il a femme et marmailles.
Veuve à c’t’heure, orphelins ! comment vivre pourtant ?
Car il n’a rien laissé pauvre bougre en partant.
Sur lui le matelot a sa fortune entière :
Et quand il tombe à l’eau, c’est l’eau son héritière.

On n’retrouva que son chapeau
Son garde pipe et son couteau

Trois fils et c’est tout ça qu’ils se partageront !
L’un aura le chapeau trop large pour son front :
Ça ne peut plus servir qu’à demander l’aumône.
Le plus petit prendra l’étui de cuivre jaune :
Et l’aîné gardera pour l’heure des repas
Le couteau qui coupait le pain qu’il n’aura pas.
Ah ! l’on rêvait pour eux des existences douces,
Hein, la mère ! A présent qu’en fera-t-on ? Des mousses.
Et tout de suite ! Avant leurs douze ans embarqués !
Ou bien ça s’en ira mendier sur les quais.
Quant à la veuve, pas même ce qu’ont les autres
Les consolations des lentes patenôtres
Que sur un tertre vert on verse avec des pleurs
En y mettant un brin de buis, un pot de fleurs !
Car son homme aura bien un coin au champ d’avène,
Sous ces mots “ Mort en mer ”, mais dans la bière vaine
Le corps ne sera pas en terre sous la croix.
Le corps, le pauvre corps, les flots profonds et froids
Le roulent maintenant au hasard des marées,
Parmi les près voguant des algues démarrées
Où paissent les poissons qui mettront en lambeaux
Tous ses membres épars dans de vivants tombeaux
Et nul ne lui fera son lit pour qu’il y dorme.
Il ne restera rien de lui rien de sa forme,
Rien qui de ce qu’il fut garde le souvenir,
Rien qu’on puisse revoir, rien qu’on puisse bénir.
Il ne restera rien de lui que sa pauvre âme
Qu’on entendra pleurer les nuits où la mer brame;

Et son sabot flottait sur l’eau

Ah ! les enfants sans père et le noyé hideux !
Nous étions trois et nous ne sommes plus que deux.
Comme il flotte sur l’eau le sabot solitaire !
Ah! Pêcheur qui t’en vas pourquoi fuis-tu la terre ?
Ainsi parlent les morts par la bouche des flots.
Ainsi dit la chanson que rythment leurs sanglots.
Pourquoi t’en aller sur la vague si fausse,
Toi qui sais que son creux peut devenir ta fosse ?
Pourquoi toujours voguer pour finir comme nous
Dans cette tombe où nul ne mettra les genoux ?
Ah ! pêcheur qui t’en vas, reste donc sur la terre.
Ne vois-tu pas sur l’eau le sabot solitaire ?
Mais la voix du pêcheur plus proche a retenti.
Il revient en chantant comme il était parti :
Revient ce soir et pour repartir à l’aurore.
Quand il repartira c’est en chantant encore,
Toujours brave, toujours d’un cœur insoucieux,
Sur l’infini des eaux, sous l’infini des cieux.
Ses filets sont posés. La mer grossit. N’empêche
Qu’il est sûr pour demain qu’il fera bonne pêche.
La femme et les petits ne manqueront de rien.
Il chante. Ah ! ce métier de chien, de galérien,
On l’aime on l’aime tant, d’une amour si têtue !
C’est la mer qui vous plaît, cette mer qui vous tue.
La mer sait nous manger mais aussi nous nourrir.
On en a tant vécu qu’on peut bien en mourir !
Et le pêcheur tout près d’arriver à la côte,
Reprend l’air d’une voix plus joyeuse et plus haute.

Nous étions deux, nous étions trois
Nous étions deux, nous étions trois

Va donc, le vent du nord, l’homme qu’un flot emporte,
La veuve en deuil, les gars orphelins, bah ! Qu’importe !
La mer qui fait tout ça ne le fait pas exprès.
Puis, la mer avant tout et les autres après !
Houp ! Quand même, gaiement, en marins que nous sommes
Tant que la mer vivra la mer aura des hommes.

Mon tradéri tra lanlaire

Mes vacances au bord de tout (Rémo Gary /François Forestier)

J’ai peur des courses en solitaire
Je suis plutôt marin de terre
Je laisse les îles, les pôles
Aux autres et moi j’ai ton épaule
Où je voyage à bout portant
Sans bouger d’un pouce pourtant
Je leur laisse les Tuamotu
T’es mes vacances au bord de tout

Chez toi c’est congé tout le temps
Je suis plutôt marin d’étang
Je laisse aux autres les souvenirs
Qu’ils auront avant de partir
Je leur laisse les safaris
Et les tigres, et les méharis
Chez toi je veux faire le toutou
T’es mes vacances au bord de tout

C’est dans ton lit que je dessale
Je suis plutôt marin d’eau sale
Je leur laisse le patrimoine
Les pierres, les abbayes, les moines
Leurs citadelles, leurs victoires
Leurs écussons, leurs territoires
Chez toi je suis de n’importe où
T’es mes vacances au bord de tout

J’suis plutôt marin de ruisseau
Marin de puits, marin de seau
Je leur laisse Santa Barbara
Et les chutes du Niagara
Je n’ai plus besoin de héros
D’Amérique ou de Jivaros
Big Brother ou grand Manitou
T’es mes vacances au bord de tout

Je suis plutôt marin d’eau tendre
Je ne perds rien pour t’entendre
Me raconter le monde encore
Le grand tour autour de ton corps
Les falaises et les coins secrets
Ta peau blanche comme la craie
Et que chaque baiser tatoue
T’es mes vacances au bord de tout

Dimanche à 5 heures (Rémo Gary Jeanne Garraud)

Je suis un dimanche à 5 heures
Entre le goûter et la soupe
Mes ciseaux à bouts ronds découpent
L’ennui dans le papier du beurre
Je suis un dimanche à 5 plombes
Entre chien et loup, la nuit vient
Ça y est les loups mangent les chiens
Le jour s’éteint, le rideau tombe
Demain matin me fout la glace
J’attends que lundi me ramasse

Je suis un dimanche en novembre
Je regarde tourner mes pouces
Demain matin me fout la frousse
Il fait presque noir dans ma chambre
Je joue les " écoute s’il pleut "
Je suis un dimanche à plein temps
J’ai pas de quoi tuer le temps
Je le blesse un tout petit peu
Je l’égratigne, je l’agace
J’attends que lundi me ramasse

De l’air empilé sur de l’air
Rien sur rien et rien qui ne moufte
Y’a même pas de rime en oufte
À piquer dans mon dictionnaire
Faut que j’écrive mes devoirs
Qui a bien pu créer le monde
Mon père ou le roi des Burgondes
Je m’en fous, je veux plus rien savoir
Les souvenirs sont des impasses
J’attends que lundi me ramasse

Je suis un dimanche plombé
Le temps tire à la chevrotine
Sur mon ours et sur Bécassine
Je suis un dimanche planté
L’avenir sème des jachères
Et je compte les heures de vol
Le couteau remue dans la chair
Mon enfance est clouée au sol
Le dimanche, la terre est trop basse
J’attends que lundi me ramasse

Y’a rien à voir à la fenêtre
Le temps file tout doux, tout fin
Et c’est long surtout vers la fin
Vivement demain pour renaître
Demain, c’est tout ni moins, ni plus
Et c’est pareil à la téloche
Y’a rien, le jour vide ses poches
Dans un interlude, un rébus
Ou par wagons des anges passent

Les jours ont des tiroirs secrets
Qu’aucune intention ne débusque
Laissez-moi devenir mollusque
Sans idée qui m’encombrerait
Et collé comme une limace
Attendre que lundi me ramasse

Les ouvriers de plâtre (Rémo Gary)

Voilà les ouvriers de plâtre
Leurs clés de sol et leurs pinceaux
Qui bossent à la pièce de théâtre
Qui font que des petits morceaux
Voilà les brûleurs de plateau
Voilà les façonneurs de trouble
Qui mettent à usiner leurs mots
Les bouchées doubles

C'est des faiseurs de superflu
C’est du bonheur, c’est des heures sup.
Ça paye pas, ça paye plus
Et ce n’est qu’un marché de dupes
Contre un peu de remue-méninges
Si vous leur jetez quelques roubles
Ils mettent pour faire les singes
Les bouchées doubles

Leur droit du travail est écrit
Dans leurs conventions affectives
Ils réclament à cor et à cri
Aimez-nous sans alternative
Ils jouent les patrons, les vedettes
Sans retenue, ils se dédoublent
Pour faire tous les genres ils mettent
Les bouchées doubles

C’est pas vraiment des ouvriers
C’est des apprentis des arpètes
Ils sont même pas spécialisés
Leurs mains, ils les ont dans la tête
Ils empoignent pour l’écriture
Un crayon, un verre de Chiroubles
Et mettent à la manufacture
Les bouchées doubles

Voilà les ouvriers de plâtre
Leurs clés de sol et leurs pinceaux
Qui bossent à la pièce de théâtre
Qui font que des petits morceaux
Ils sont, ils savent bien l’admettre
Sans faire ni du gras, ni du double
Mieux ici qu’à l’usine à mettre
Les bouchées doubles
Voilà les ouvriers de plâtre
Leurs clés de sol et leurs pinceaux...

Le Chœur des ouvriers : Jeanne, Elise, Martin, Jojo, Clélia, Sandra, Stan, Jacky, Françoise, Marco, Bernard, Véronique, Alexandra, Didier, Jean-Jacques, Michèle, Raton, Titi, Annie, Bobby Lacan, Luc, Suzie, Joël, Férréol.