Rémo Gary

Paroles

Consultez ici l'intégralité des textes des chansons...

Ouvre (Edmond Haraucourt / Laurent Rualten) 

solidor

Ouvre les yeux, réveille-toi :                
Ouvre l’oreille, ouvre ta porte :      
C’est l’amour qui sonne et c’est moi       
Qui te l’apporte     

Ouvre la fenêtre à tes seins :
Ouvre ton corsage de soie :
Ouvre ta robe sur tes reins :
Ouvre qu’on voie.


Ouvre à mon coeur ton coeur trop plein
J'irai  le boire sur ta bouche
Ouvre ta chemise de lin
Ouvre qu'on touche

Ouvre les plis de tes rideaux
Ouvre ton lit que je t'y traîne
Il va s’échauffer sous ton dos
Ouvre l’arène

Ouvre tes bras pour m’enlacer
Ouvre tes seins que je m’y pose
Ouvre aux fureurs de mon baiser
Ta lèvre rose

Ouvre tes jambes : prends mes flancs
Dans ces rondeurs blanches et lisses
Ouvre tes deux genoux tremblants
Ouvre tes cuisses

Ouvre tout ce qu’on peut ouvrir
Dans les chauds trésors de ton ventre
J’inonderai sans me tarir
L’abîme où j’entre

La grève noire  (Jules Jouy / Jean François Bidet)

jouy

Esclaves de houille frottés
Nègres des mines qui luttez
Sans trêve
Bêtes qui, du maître au poing dur
Tirez l’énorme bateau sur
La grève

Vous qui descendez chaque jour
Sous la terre où, là-bas, le jour
Se lève
Ne vous rendez pas, amis, car
Sachez le bien vous vaincrez par
La grève

La grève est le drapeau du droit
C’est l’homme sans arme allant droit
Au glaive
C’est la lutte de l’indigent
Contre son exploiteur mangeant
La fève

Travailleurs croisez-vous les bras
Pour que la bataille ici bas
Soit brève
Laissant reposer les outils
Arborez devant les fusils
La grève

Tous les mangés auront leur tour
Le repas sanglant du vautour
S’achève
L’arbre grandit dans le péril
Plus vous le coupez et plus il
S’élève

Ces mitrailles dans ce bassin
C’est le spasme de l’assassin
Qui crève
Capital, mon vieux moribond
Elle t’a donné le charbon
La grève

Sonnet de Vincennes (Raoul Ponchon / Jeanne Garraud)

ponchon

Et puis, L’ennui nous vint, qui fana sous ses doigts
Notre amour, cette fleur absurde et printanière
Eclose, souviens toi, boulevard Poissonnière
Quand les nids commençaient à chanter sous les toits.

On s’est bien aimé deux à n’en plus finir mois
Moi d’après ma façon, toi selon ta manière
Deux mois ce n’est pas rien pour ma moelle épinière
D’autant qu l’on comptait trente  et un jours, je crois

L’amour a son mystère et le cœur ses abîmes
Je ne me souviens plus sur quel mot nous rompîmes
Mais je suis bien certain que ce fut galamment

Sans phrases de dépit, sans nous faire de scènes
Tandis que tu partais au bras d’un autre amant
Pour Auteuil, je prenais l’autobus de Vincennes

Le testament de Pierrot   (Xavier Privas)privas

Le corps et l’esprit
En Capitolade
Gravement malade
Pierrot tient le lit
Et dans sa demeure
Colombine pleure
Lamentablement
Et prie humblement
Dieu d’être clément
Pour que son amant
Ne meure

Et pauvre Pierrot
Que la mort tourmente
Dicte à son amante
Cet ultime mot
«  Je, Pierrot, rétracte,
Par le présent acte
Autre testament
Ce seul document
De mes vœux formant
La teneur vraiment
Exacte

À mes créanciers
Je lègue mes dettes
Avec les sornettes
De pas mal d’huissiers
Aux gens de justice
Ma très protectrice
Farine de choix
Qui pourra, je crois
Blanchir maintes fois
L’âme de ces rois
Du vice

Aux gens de bon ton,
Et haute noblesse
À ma mort, je laisse
En précieux don
Masque de croyance
Masques d’indulgence
Et d’humanité
Gens de qualité
N’ont en vérité
D’aucune bonté
L’essence

Aux rimeurs errants
Je lègue et confie
Mon arme : ironie
Pour cingler les grands
Au frère qui traîne
Et misère et peine
Par villes et champs
Je donne mes chants
Dont les airs touchants
Calment des méchants
La haine

Je laisse mon cœur
A Colombinette
Tant que la pauvrette
N’aura cœur meilleur
J’approuve et je signe :
«  Pierrot » - Et très digne
Le mourant pâlot
À ce dernier mot
Renvoie tout là-haut
Son âme et son lot
De guigne.

Maïakovski, poète (Michèle Bernard)

Portes ouvertes sur l'avenir
On vogue à des années-lumière
Dans tes poèmes, tes délires
Tu gueulais pour la Terre entière

poète


La neige est tombée sur le monde
Étouffant les cris et les pas
Et ta voix qui n'en revient pas
Je l'imagine encore qui gronde

Sur la buée de la fenêtre
J' dessine la tête de Vladimir
C'est un poète
Qui rêvait de roses nouvelles
Qu'on inventerait, qu'on inventerait

L'avenir n'est pas venu tout seul
Le vieux monde ne dort que d'un œil
Comme le chat sur le fauteuil

Le bon Dieu et ses employés
Se mêlent encore de nos affaires
Nos vieilles morales ridées
Ravalent leur face de pierre

Ces machines, tu te souviens,
Qui promettaient la délivrance
Elles n'ont jamais changé de main
Jamais ralenti la cadence

{refrain}

L'avenir est venu trop tôt
Enfoncé comme un vieux chapeau
Le vieux monde nous colle à la peau

L'embonpoint nous gagne la tête
Et recroqueville les rêves
Qui s'en vont prendre leur retraite
On cherche le repos, la trêve

Les couvertures et les caresses,
Tu sais, nous sont encore comptées
Et la justice et la tendresse
Restent toujours à inventer

{refrain}

Vladimir, petit frère, tu vois
Le vieux monde pèse de tout son poids
Comme la neige sur le toit


Le passé (Jacques Bertin)


Un passé avec des ancêtres des ancêtres des ancêtres…
une sombre foule d'ancêtres montés d'infinis là-bas
D'infiniment très vieux pays au rythme cassé des charrettes
Avec leurs hardes leurs chansons leurs hameaux noués dans des draps

Un passé noir comme une nuée tracée dans le ciel d'orage
Pourquoi donc croyez-vous que nous aurions si longtemps voyagé
Sans autre espérance que l'espérance et dans l'âge sans âge
il fallait faire avec et faire comme si - et avancer

Parmi les massacres les épidémies les viols les famines
Les obus sur l'église tombaient, on distribuait les rations
Les nouveaux-nés passaient de main en main dans les gués dans les ruines
On chargeait les enfants à l'aube à la hâte dans les camions

Il fallait avancer, roman interminable, peuple en loques
Comme s'ils t'aimaient comme s'ils avaient toujours marché pour toi
Des valises de certificats des chapelets des breloques
Passé le col passé la mer - Polonais Kabyles Gaulois

Quelques billets gluants, quelques photos, un livret de famille
Aux pages qui s'en vont dans l'eau ou comme une vaisselle d'or
Ceux qui ne peuvent plus marcher dans les regards des jeunes filles
Se réfugiant pour y enterrer le drapeau brûlant encore

Le VRP bouffant tout seul le soir à l'Hôtel de la gare
La domestique congédiée, l'apprenti qu'on ne reprit pas
Le moissonneur qui fut amputé sur place à la lueur des phares
Les cadets de Saumur en juin l'été où l'ennemi passa

Et ils sont là et les voilà qui tambourinent dans ta porte
Nous voulons dans ta maison vide et ton âme nous installer
Nous sommes le passé vivant que l'histoire en grinçant t'apporte
Nous monterons nos tentes de papier ce soir sur ton palier

Les réfugiés au port, le passeur qui courait entre les tombes
L'entrée des mineurs dans la ville avec leurs gueules de bandits
L'institutrice a dit : nous reviendrons sur l'aile des colombes
Les curés rouges les soldats perdus les poètes maudits

Les chants des carabins, le rire de la mitraille et la gloire
Le ciel de la barricade et les rosiers fleuris ce matin
Courez petits enfants on a trouvé des monnaies dans la Loire
L'aile du deuil passant sur le parc, l'officier tué à Verdun

Quel désordre dans ce hangar, quel vacarme dans la mémoire
Le bric-à-brac des pauvres, les idées dépassées, l'espoir vain
L'aube sur les exécutions, l'inconnu noyé dans la mare
Le copain qui voyait la Vierge, la religieuse au Tonkin

Bonjour ! il faudra désormais que ce soit toi qui nous emmènes
Sans savoir où bien sûr mais qu'importe tu passeras devant
Nous avons semé les dragons les bleus les indics et la haine
Les caméras nous ont perdus dans le dédale des étangs

Dans le chagrin, dans les marais, dans la débâcle des poèmes
Et les nabots et les poivrots les estropiés suivaient de loin
Regarde en arrière et ainsi tu verras où l'espoir te mène
Pressons le pas c'est par ici faut pas traîner dans les chemins

Cité des Lilas, des Tilleuls, grandes barres, cité sans âme
Fermes de pauvres, taudis, salles communes au poêle éteint
Comment ferons-nous pour passer puisque nous n'avons aucune arme ?
Chambres de bonne avec lavabo, avenirs donnant sur rien

La retraite jusqu'à Moulins, le défilé de la victoire
Le petit des voisins est mort, la gosse a pris un Italien
La fin de la sécheresse et les bateaux revenus en Loire
L'atelier à treize ans et l'oncle avec son Berliet à pneus pleins

Le STO, tu m'écriras ! les trente mois, non à la guerre !

sto
Tout ce que nous avions rêvé, tout ce qui ne servit à rien
Le nouveau syndicat, le bétail fut dispersé aux enchères
La grève les fourches les faux les poings levés le prix du pain

Le docteur dans la côte avec le lumignon de la tendresse
Le toit bleu de la vieille école et le jardin de l'hôpital
L'infirmière sur son Solex vaillante comme la jeunesse
Le soir les vélos par centaines rentrant le long du canal

Et les voilà : tous Poulidor, tous Dupont et tous dans ta tête
Mais range-toi donc, animal ! tu nous gênes pour avancer
Bouge-toi imbécile pas besoin de croire pour en être
Avance ou bien pousse ton siècle dégonflé dans ce fossé

Tu gênes les gens, petit homme en déguisement post-moderne
On te demande pas de croire on te demande d'avancer
Dispense-toi de commentaires, dégage ton âme en berne
Petit homme contemporain en plâtre, laisse-nous passer

Premier mai 1948   (Henri Max / Clélia Bressat-Blum)


Forêt flambante des drapeaux
Aux poings rugueux des prolétaires
Crépitements égalitaires
Des pas aux rythme de marteaux

Allure fière des panneaux
Où chaque mot d’ordre étincelle
Pour la Justice universelle
Et l’espoir vers les renouveaux

Voici, crevant les ateliers
Les bureaux noirs et les usines
Que de toutes les rues voisines
Coule le flot des ouvriers

Il descend vers les beaux quartiers
Où le bourgeois ferme boutique
Où se détourne, l’œil oblique
La face des aventuriers

Pourquoi trembler pour votre argent
En ce jour d’hymnes et de fêtes ?
Si le soleil chauffe les têtes
Le peuple reste bon enfant

Demain il reprendra l’outil
Et se courbera sur sa tâche
Sans regimber. Pour qu’il se fâche
Et pour que claque le fusil

Il faut que le poids des profits
Pèse plus fort sur sa misère
Que ressuscite la colère
Devant vos larges appétits

Mais alors il sera trop tard
Pour que le peuple reste sage
Ecoutez son ardent message
Ou craignez le rouge étendard
Ou craignez le rouge étendard


La femme battue (Yvan Dautin / Angelo Zurzolo)

Elle voudrait un ciel sans nuages
Toujours bleu
Maintenant qu’elle est en ménage
Pot-au-feu
Elle a les yeux bleus comme des bleus
Elle a tout qui fait malheureux
Vu que le temps est à l’orage
Et qu’il pleut

Elle a renversé le potage
Cordon bleu
Et ça fait déborder le vase
Du monsieur
Qui ne rit pas quand il se brûle
Et qu’a pas l’air du ridicule
Il a la main lourde courage
Le peut peu

Il pleut des coups
C’est un sauvage
Pas qu’un peu
Tellement il a bu de breuvage
Le monsieur

Elle a pourtant des avantages
Si l’on veut
De jolis seins dans son corsage
Douloureux
Qui s’en vont pointer au chômage
Dans le lit conjugal dommage
Mais au lieu de tourner la page
Au lieu de …

Elle voudrait un ciel sans nuages
Toujours bleu
Maintenant qu’elle est en ménage
Pot-au-feu
Elle a les yeux bleus comme des bleus
Elle a tout qui fait malheureux
Quand ivre mort après l’orage
Le peut peu
Cuve son vin sur le dallage
Elle s’en veut

Je proteste   (Louis Aragon  / Lino Léonardi)

Je proteste, je proteste
Pour l’amour martyrisé
Pour les bouches sans baisers
Pour les corps décomposés
Pour l’échafaud, pour la peste
Je proteste

Pour la vie aussi qu’on eut
La mort dite naturelle
Avoir subi les querelles
Qui burinent et bourrèlent
Notre visage ingénu
Je proteste

Pour les os qui se brisèrent
Les femmes à cris accouchant
La sécheresse des champs
Et l’égorgement du chant
Pour la faim, pour la misère
Je proteste

Pour ce qu’on a fait de nous
Prenant tout pour de l’eau pure
Qui ne cherchions aventure
Que de la bonté future
Et qu’on a mis à genoux
Je proteste

Qu’on nous trompe, qu’on nous leurre
Nous donnant le mal pour bien
Celui qui n’en savait rien
Et qui le mal pour bien tient
N’est-ce pour le bien qu’il meurt
Je proteste

Au nom des choses meilleures
Prêtes à tout ce qu’on voudrait
A tout sacrifice prêt
Pauvres gens bêtes de trait
Qu’on bafoue et mène ailleurs
Je proteste

La chanson de Gavroche (Victor Hugo / Lucien Merer)

La bourgeoisie est un veau
Qui s’enrhume du cerveau
Au moindre vent frais qui souffle
Le bourgeois c’est la pantoufle
Qu’un roi met sous ses talons
Pour marcher à reculons

Je fais la chansonnette
Faites le rigodon

Le Bourgeois est un grimaud
Qui prend sa pendule au mot
Chaque fois qu’elle retarde
Il contresigne en bâtarde
Coups d’état, décrets, traités
Et toutes les lâchetés

Je fais la chansonnette
Faites le rigodon

Il enseigne à ses marmots
Comment on rit de nos maux
Pour lui, le peuple et la France
La liberté, l’espérance
L’homme et Dieu sont au dessous
D’une pièce de cent sous

Je fais la chansonnette
Faites le rigodon

Le Bourgeois à des regrets
Il pleure sur le progrès
Sur ses loyers qu’on effleure
Sur les rois, fiacres à l’heure,
Sur sa caisse et sur la fin
Du monde où l’on avait faim

Je fais la chansonnette
Faites le rigodon

Lomer    (Richard Desjardins)

Adieu mon frère, adieu ma sœur
Demain à l'aube les pieds nus,
J'irai dans les vastes noirceurs
D'où personne n'est revenu.

Adieu la Terre, tant si bonne,
Qui tant d'eau froide m'a fait boire.
Adieu Humains, qu'on me pardonne
Si je ne laisse que mon histoire.

En l'an quarantième de mon âge,
Hors d'enfance et franc de dettes,
Doté de sens, du moins le crois-je,
Nul méfait que ne regrette.

Qui meurt a ses lois de tout dire.
Éscoutez bien, honnêtes gens,
Car on m'a jugé à mourir.
Je me tais et je commence.

Quand vint la vire dedans mes chairs
Mes mains tendaient vers la chaleur.
" Profites-en ", disait ma mère,
" Pour un plaisir, mille douleurs. "

Et vint le temps de travailler,
Lever moissons au bout des bras,
Dans bonnes soupes s'y noyer,
La joie d'aider qui t'aidera.

Et vinrent les amoureuses lisses,
Fortes fillettes offrant tétins
Et vint la nuit que je me glisse
Dans leurs cavernes de satin.

Qui donc refuse de jouir
Des joies du monde quand sincère,
Quand transglouti dans le plaisir,
comme la mer. Comme en Lomer.

Et vint Lomer. Pur étranger
Clamant nouvelles des équateurs :
" Le temps est venu de changer,
Pour mille plaisirs, nulle douleur. "

Il m'instruisit que Terre est ronde
Comme on le croit en Portugal,
Que puissance et beauté des nombres
Feront se rompre les étoiles.

Je suis de caravane humaine,
Cueillant le fruit où il se trouve,
J'ai traversé le pont qui mène
De l'amitié jusqu'à l'amour.

J'ai consenti. Oui, j'ai enfreint
Les lois du Deutéronome
Et celles de Saint-Augustin.
Je fus allé aimer un homme.

Cette matière à tous n'a plus,
Trognons de chou et pets de diable,
Qui pour le bien torturent et tuent,
Ces mêmes qui furent des croisades.

Alors qu'un jour dans le verger
Nous nous aimions sous les olives,
Ils sont venus nous asperger
De haines lourdes et de chaux vive.

Sans cesse ils ont roué Lomer.
Sans force, substance ou liqueur,
Il est tombé sous jets de pierre,
Son fiel se crevant sur son cœur.

Ils m'ont traîné sous les regards
De tous les fols de Carcassonne,
Devant des juges en lambeaux noirs
Qui n'ont jamais aimé personne.

A l'entendeur voici ma voix :
Je dis que je suis comme l'eau
Que jamais nul n'éscrasera
Car toute bête garde sa peau.

L'encre se gèle, tombe le froid.
Mon sang dans ses veines roidit.
Qu'on sonne à branle le beffroi,
Que s'ouvre à moi le paradis.

Pendant que mes juges faillis
Iront bouillir dans les enfers,
Dans les courtines de Marie,
Je m'en irai aimer Lomer.

Adieu la Terre, tant si bonne,
Qui tant d'eau froide m'a fait boire.
Adieu Humains, qu'on me pardonne
Si je ne laisse que mon histoire.

La chanson des fusils (Gaston Couté / Jeanne Garraud)

Nous étions fiers d'avoir vingt ans
Pour offrir aux glèbes augustes
La foi de nos coeurs éclatants
Et l'ardeur de nos bras robustes
Mais voilà qu'on nous fait quitter
Notre clair sillon de bonté
Pour nous mettre en ces enclos ternes
Que l'on appelle des "casernes"

En nos mains de semeurs de blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la plaine
En nos mains de semeurs de blé
On a mis des outils de haine...
O fusils qu'on nous mit en mains,
Fusils, qui tuerez-vous demain

Notre front qui ne s'est baissé
Encor que par devant l'terre
Bouge, en sentant, sur lui peser
La discipline militaire
Mais s'il bouge trop, notre front
Combien d'entre nous tomberont
Par un matin de fusillade
Sous les balles des camarades

Nos yeux regardent sans courroux
Les gâs dont les tendresses neuves
S'essèment en gais rendez-vous
Là-bas, sur l'autre bord du fleuve
Mais un jour de soleil sanglant
Ah ! combien de pauvres galants
Ayant un coeur pareil au nôtre
Coucherons-nous dans les épeautres

Nous trinquons dans les vieux faubourgs
Avec nos frères des usines
Mais si la grève éclate un jour
Il faudra qu'on les assassine
Hélas ! combien les travailleurs
Auront-ils à compter des leurs
Sur les pavés rougis des villes
Après nos charges imbéciles

Mais, en nos âmes de vingt ans,
Gronde une révolte unanime
Nous ne voulons pas plus longtemps
Etre des tâcherons du crime
Pourtant, s'il faut encore avant
De jeter nos armes au vent
Lâcher leur décharge terrible,
Nous avons fait choix de nos cibles



En nos mains de semeurs de blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la plaine,
En nos mains de semeurs de blé
Puisqu'on vous tient, fusil de haine
Tuez ! s'il faut tuer demain
CEUX qui vous ont mis en nos mains

Le  Saut du Tremplin (Théodore de Banville / Joël Clément)


Clown admirable, en vérité
Je crois que la postérité
Dont sans cesse l’horizon bouge
Le reverra,sa plaie au flanc
Il était barbouillé de blanc
De jaune, de vert et de rouge

Même jusqu’à Madagascar
Son nom était parvenu, car
C’était selon tous les principes
Qu’après les cercles de papier
Sans jamais les estropier
Il traversait le rond des pipes

De la pesanteur affranchi
Sans y voir clair il eût franchi
Les escaliers du Piranèse
La lumière qui le frappait
Faisait resplendir son toupet
Comme un brasier dans la fournaise

Il s’élevait à des hauteurs
Telles, que les autres sauteurs
Se consumaient en luttes vaines
Ils le trouvaient décourageant
Et murmuraient : « Quel vif-argent
Ce démon a-t-il dans les veines ? »

Tout le peuple criait : « Bravo ! »
Mais lui, par un effort nouveau
Semblait roidir sa jambe nue
Et, sans que l’on sût avec qui
Cet émule de la Saqui
Parlait bas en langue inconnue.

C’était avec son cher tremplin
Il lui disait : « Théâtre, plein
D’inspiration fantastique
Tremplin qui tressailles d’émoi
Quand je prends un élan, fais-moi
Bondir plus haut, planche élastique

« Frêle machine aux reins puissants
Fais-moi bondir, moi qui me sens
Plus agile que les panthères
Si haut que je ne puisse voir
Avec leur cruel habit noir
Ces épiciers et ces notaires

« Par quelque prodige pompeux
Fais-moi monter, si tu le peux
Jusqu’à ces sommets où, sans règles
Embrouillant les cheveux vermeils
Des planètes et des soleils
Se croisent la foudre et les aigles

« Jusqu’à ces éthers pleins de bruit
Où, mêlant dans l’affreuse nuit
Leurs haleines exténuées,
Les autans ivres de courroux
Dorment, échevelés et fous
Sur les seins pâles des nuées

« Plus haut encor, jusqu’au ciel pur
Jusqu’à ce lapis dont l’azur
Couvre notre prison mouvante
Jusqu’à ces rouges Orients
Où marchent des Dieux flamboyants,
Fous de colère et d’épouvante.

« Plus loin ! plus haut ! je vois encor
Des boursiers à lunettes d’or
Des critiques, des demoiselles
Et des réalistes en feu
Plus haut ! plus loin ! de l’air ! du bleu
Des ailes ! des ailes ! des ailes ! »

Enfin, de son vil échafaud,
Le clown sauta si haut, si haut
Qu’il creva le plafond de toiles
Au son du cor et du tambour
Et le coeur dévoré d’amour
Alla rouler dans les étoiles

Sur mon cou (Jean Genet / Hélène Martin)

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.

Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l’escalier, plus souple qu’un berger,
Plus soutenu par l’air qu’un vol de feuilles mortes.

Ô Traverse les murs : s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans : couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

La Poesia es un arma cargada de futuro  (Gabriel Celaya / Paco Ibanez)

Cuando ya nada se espera presonalmente exaltante
más se palpita y se sigue más acá de la consciencia
fieramente existiendo, ciegamente afirmando
como un pulso que golpea las tinieblas
que golpea las tinieblas

Cuando se miran de frente
los vertiginosos ojos claros de la muerte
se dicen las verdades
las bárbaras terribles, amorosas crueldades
amorosas crueldades.

Poesía para el pobre, poesía necesaria
como el pan de cada día
como el aire que exigimos trece veces por minuto
para ser y en tanto somos, dar un sí que glorifica

Porque vivimos a golpes, porque apenas si nos dejan
decir que somos quien somos
nuestros cantares no pueden ser sin pecado un adorno
Estamos tocando el fondo
estamos tocando el fondo

Maldigo la poesía concebida como un lujo
cultural por los neutrales
que lavándose las manos, se desentienden y evaden
Maldigo la poesía de quien no ha tomado partido
partido hasta mancharse

Hago mías las faltas. Siento en mi a cuantos sufren
y canto respirando
Canto y canto y cantando más allá de mis penas
de mis penas personales
me ensancho, me ensancho

No es una poesía gota a gota pensada
No es un bello producto. No es un fruto perfecto
Es lo más necesario: lo que no tiene nombre
Son gritos en el cielo, y en la tierra son actos

Porque vivimos a golpes, porque apenas si nos dejan
Decir que somos quien somos,
Nuestros cantares no pueden ser sin pecado un adorno
Estamos tocando el fondo,
Estamos tocando el fondo.

Le disparu (Robert Desnos / Francis Poulenc)

Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Je n'aime rien, pas même le vin.

Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Nous partagions la chambre et le pain.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin.

C'est mon ami, c'est mon copain.
Il a disparu un matin,
Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.
On ne l'a pas revu dans la rue Saint-Martin.
Pas la peine d'implorer les saints,
Saint Merri, Jacques, Gervais et Martin.

PaS même Valérien qui se cache sur la colline.
Le temps passe, on ne sait rien.
André Platard a quitté la rue Saint-Martin.

Grain de blé (Jean Richepin  / Frédéric Bobin)

Au soleil de Messidor
Les grains de blé sont grains d’or.
Moissonneur, fais ta javelle.
Moi je vais sur la moisson
Tâcher de broder chanson
Qui soit nouvelle.

Grain-de-Blé gisait chagrin
D’être un simple et pauvre grain
Avec ses frères sans nombre
Qui du premier au dernier
Tous en tas dans un grenier
Dormaient à l’ombre.

Quand ils bavardaient entre eux
Grain-de-Blé l’aventureux
Disait aux autres « j’ai honte
D’ainsi dormir et moisir
En moi je sens un désir
Qui monte, monte

Je voudrais voir le ciel bleu
Aux baisers de l’astre en feu
Craquer en gonflant mes moelles
La nuit sur mes flancs gercés
Je voudrais les pleurs versés
Par les étoiles


Je voudrais de l’air du vent
Même l’averse crevant
Même la grêle et le givre
Tout, plutôt que d’être ici
Inerte obscur et transi
J’ai soif de vivre »

Un sage un vieux grain barbon
Lui répondit « a quoi bon ?
Ici du moins on repose
Mais vivre quel agrément
Recommencer mêmement
La même chose !

Ce qu’ont fait tous tes aïeux
Tu le feras et non mieux
Pas autre chose n’espère !
Quoi qu’il veuille Grain-de-Blé
De tous temps a ressemblé
A Grain, son père.

Quand ton corps aura germé
Tu seras de l’herbe en mai
Puis en juillet de la paille
Qu’en août on faucillera
Guillerette et Guillera
Chantez ma caille

Après ce De Profundis
Comme les grains de jadis
Les grains issus de ta gerbe
A leur tour seront en mai
Quand leur corps aura germé
Pauvres brins d’herbe


Puis refaisant tout le rond
En juillet ils mûriront
En août redeviendront paille
Dont sans fin et sans répits
On coupera les épis
Chantez ma caille

Et c’est de ce rêve -là
Fou que tu fais ton gala
Et que ton espoir s’enivre
Vaut-il pas mieux être ici
Inerte, obscur et transi
A quoi bon vivre

Grain-de-Blé l’aventureux
Dit « Je suis un songe creux
Soit ! Mais quand même j’espère
En vivant je peux (qui sait)
Passer ou point ne passait
Feu Grain mon père

Puis vivre, vivre est charmant
Rien que vivre; et le comment
Bon ou mauvais, peu m’importe
Tout, plutôt que ce grenier
Comme il parlait le meunier
Vient et l’emporte

Les meuniers quoique tout blancs
Pour les Grain-de-Blé tremblants
Semblent d’un noir effroyable
Pauvre mignon Grain-de-Blé
Quoique brave il a tremblé
Devant ce diable

Car ce diable lui disait
« Tu demandes marmouset
N’importe comment à vivre
Tout plutôt que ce grenier
Bien! N’y soit plus prisonnier
Je te délivre

Mais en retour mon garçon
Tu vivras à ma façon
En souffrant des maux sans trêve
Comme un gueux, comme un maudit »
Et Grain-de-Blé répondit
Vivre est mon rêve

Vivre, oui, n’importe comment
En souffrant me consumant
Soit! je suis prêt à te suivre
Fais de moi ce qu’il te plaît
Mon vœu s’exauce au complet
Si je peux vivre

J’aspire au ciel à l’azur
Je les verrai j’en suis sûr
Mets-moi dans ton sac de toile
Au plus noir de toute nuit
Mon amour de vivre luit
Comme une étoile

Tic! tac! voici le moulin
Cra! cra! bri! broie! il est plein
De gémissement funèbres
Ce sont de malheureux grains
Dont on écrase les reins
dans les ténèbres

Grain-de-Blé quoique hardi
Se sent un peu refroidi
Devant l’horrible machine
Mais quand même et bravement
Sous la meule en mouvement
Met son échine

Et ricane le meunier
Es-tu mieux qu’en ton grenier
Certes, car je vis, dit l’autre
Et la meule cependant
Sur lui, qu’elle va fondant
Gaiement se vautre

Bri ! broie Ah pauvre petit
Comme elle vous l’aplatit
Son dos rejoint sa poitrine
Il est roulé, déroulé
En poussière et Grain-de-Blé
Devient farine

Or ça, quel est on avis ?
Dis le meunier « bon , je vis
Fait la farine ravie.
N’importe mon sort changeant
J’étais d’or je suis d’argent
Vive la vie.

Grain-de-Blé n’est pas poltron
Dit le meunier au mitron
On sait qu’ils sont deux complices
Fais-lui subir à ton tour
Dans le pétrin et le four
Nouveaux supplices

Grain-de-Blé resta serein
Quand il fut pâte au pétrin
Et quand la pâte enfournée
Devint beau pain de froment
Grain-de-Blé dit simplement
Chaude journée

De même il ne geignit pas
Quand il fut pour le repas
Guillotiné sur la table
Mais à se sentir mangé
Il dit le bon pain que j’ai
C’est délectable

Et quel sang plein de vigueur
Je vais devenir au coeur
De celui qui me dévore
Car je ne meurs pas, non, non
Blé pain sang, que fait le nom
Je vis encore

Et sang d’un réveil nouveau
Je vais fleurir au cerveau
M’épanouir en pensées
Les espérances les plus
Folles de mes jours reclus
Sont dépassées

Vivre n’importe comment
Mais vivre immortellement
Telle était ma noble envie
Et dans le verbe sacré
Peut-être ainsi je vivrai
Vive la vie

Et voici que Grain-de-Blé
A son rêve a ressemblé
Le misérable brin d’herbe
L’humble morceau de froment
Est la rime en diamant
D’un vers superbe

Ah ! ce vers là mes amis
Que je voudrais l’avoir mis
Aujourd’hui dans ma javelle
En tâchant sur la moisson
De vous fredonner chanson
Qui soit nouvelle

Quand on est sans pain (Eugène Bizeau / Rémo Gary)


Quand on est sans pain
Les aubes sont noires
De tous les espoirs
Qu’on exhale en vain
Loin des paradis, hélas illusoires
Les aubes sont noires
Quand on est sans pain

Quand on est sans feu
Les aubes sont mornes
De tous les regards
Qu’on jette au ciel bleu
Dans l’accablement
Des hivers sans bornes
Les aubes sont mornes
Quand on est sans feu

Quand on est sans toit
Les aubes sont tristes
De tous les malheurs
Qu’on traîne avec soi
Devant l’âpreté des cœurs égoïstes
Les aubes sont tristes
Quand on est sans toit

Quand on est vaincu
Les aubes sont mortes
De tous les espoirs
Dont on a vécu
Et l’on sort du monde
En claquant les portes
Les aubes sont mortes
Quand on est vaincu

Le sculpteur et le cerisier (Allain Leprest / Gérard Pierron)

leprest


Petit voici l’heure des fruits mûrs
Combien sont morts contre ces murs
Jetez aux chiens les confitures
Qui ont endeuillé leurs chemises

On a crié plus rien ne bouge
Mais sous les gouttelettes rouges
Un sculpteur a posé sa gouge
Espérant que le vent l’aiguise

Depuis, d’automne en mois de Mai
Au milieu des noyaux morts-nés
Une vieille douille a germé
Comme un affront à la bêtise

Éclos d’une balle rouillée
Au ciel il fuse un cerisier
Qui dit je fus un fusillé
Je témoigne des saisons grises

Qui dit petit je suis témoin
Prends mes racines de fusain
Et trace de ta propre main
La promesse de mes cerises

Prends la force que je te tends
Je suis le Clément d’un instant
Je suis le gisant qui attend
Que la sève et l’amour l’irise

Qu’on re-danse autour de mon tronc
Un jour mes bras refleuriront
Les enfants moqueurs changeront
Mes blessures en gourmandises

Et le sculpteur en s’endormant
A l’ombre de son monument
Rêve dans un sourire gourmand
Qu’il a barbouillé sa chemise